Dégoûter ou apprendre à goûter?

La loi l'interdit. Pourtant, l’initiation à l’alcool se fait à l’adolescence, en famille ou entre amis.

84% des répondants à notre questionnaire déclarent avoir bu leur premier verre avant ou à l'âge de 16 ans… Près de 40% ont été initiés à l’alcool en famille, 50% avec des amis. Quant à savoir ce qu'il faut faire avec ses propres enfants, c'est une autre affaire… 61 % aimeraient que leur enfant commence plus tard à boire qu'eux-mêmes. 34 % pensent que c'est le rôle des parents d'éduquer à « boire », mais un tiers ne sait pas trop quel comportement adopter.

Et on les comprend. Le débat alimente depuis pas mal d'années les discussions entre « experts ».

Le plus tard possible

Les études scientifiques sont les seules à mettre tout le monde d'accord : plus on boit tard, moins on a de risque de souffrir de problèmes liés à l'alcool. Pourtant, une étude des universités de Liège et de la Haute école de Gand montrait en février dernier que 40% des moins de quinze ans avaient déjà consommé de l'alcool. Et ne préconisait pas d'élever l'âge légal d'accès à l'alcool. Là où cela a été fait, l'impact sur les jeunes de seize ans est faible, remarquait sur le site de la RTBF, Cécile Mathys, docteur en psychologie à l'ULg et promotrice de l'étude, tout en pointant surtout le besoin de « conscientiser et responsabiliser ».

Transes rituelles

Petit détour par l'ethnologie : les rituels de passage à l’adolescence traversent les cultures et les civilisations… parfois avec une petite touche d’ivresse. « Au cours de cérémonies pratiquées dans certaines tribus primitives, des jeunes fument des herbes qui les font entrer dans des sortes de transe, explique Cécile Mathis, docteur en psychologie à l’ULg. La coupette de bulles à la communion serait ainsi l’équivalent catholique et moderne de pratiques ancestrales. Symboliquement, l’alcool est également associé à l’âge adulte. Quand on en boit, c’est qu’on est « un grand ».

L’alcool désinhibe. Lors des premières soirées festives, il facilite la discussion, la danse et la drague. À cela s’ajoute la facilité d’accès à ce produit, son faible coût, le ciblage marketing des alcooliers envers les jeunes ainsi que deux points typiques de l’adolescence : l’attrait pour l’interdit et l’importance du groupe. Voilà, pour tout ado, de quoi sauter à pieds joints dans le pays de la guindaille joyeuse...

Dépénaliser l'alcool parents-enfants?

« L’alcool est partout dans la société, on ne peut pas y échapper !» Martin de Duve est alcoologue et directeur de l’ASBL Univers Santé, une association de prévention et de promotion de la santé chez les jeunes, située sur le campus de l’UCL. Ce militant de la dépénalisation de la consommation avec un mineur plaide pour l’éducation plutôt que pour la diabolisation du produit. « Tôt ou tard, tout jeune y sera confronté. Les parents peuvent montrer que la consommation doit être réservé à certains contextes, en privilégiant la qualité (du vin plutôt qu’un Bacardi), et en quantité limitée ».

Ce spécialiste est aussi à l’origine du réseau « Jeunes, alcool et société » qui regroupe 12 associations qui promeuvent une consommation responsable et moins risquée de l’alcool. « L’idée est de découvrir le plaisir de l’alcool, les excès peut-être mais dans un cadre le moins risqué possible. Il s’agit de développer des facteurs de protection et d’estime de soi pour éviter les abus ». En gros, tout faire pour éviter de devenir ou subir un(e) lourdingue en soirée.

Bienfaits de l'abstinence

Faut-il diaboliser l’alcool ? Rappeler que 20% des interventions aux urgences y sont liées (bagarres, accidents, etc) ? Pour Cécile Mathys, parler des risques ne suffit pas à empêcher ou réduire la consommation d’alcool chez les jeunes. « Un adolescent est dans une perspective à court terme. Faire peur peut s’avérer contre-productif. Mieux vaut plutôt identifier les bénéfices de ne pas boire – ou très modérément – à la fois sur la santé, la maîtrise et l’estime de soi ». Cécile Mathys se démarque ainsi de Martin de Duve. Plutôt que la réduction des risques, elle vante davantage les bienfaits de l’abstinence.

Si beaucoup d’ados sont initiés à l’alcool par leurs parents, les jeunes n’adoptent pas pour autant les habitudes de leurs aînés. Le verre rouge pour accompagner le rôti du soir, ils le leur laisse. « Certains codes semblent intégrés dans les familles, souligne Cécile Mathys. Inconsciemment, les jeunes n’identifient pas leur propre consommation à celle des adultes. Pour eux, l’alcool est d’abord associé aux soirées entre amis ».

Martin de Duve et Cécile Mathys sont d'accord : la prévention ne doit pas reposer sur les seules épaules des jeunes et de leurs parents. C’est aussi la responsabilité de l’Etat et des producteurs. « Les lobbies et le marketing devraient aussi mettre en avant les produits non alcoolisés, montrer que cela peut aussi être fun de ne pas boire, souligne Cécile Mathys. On pourrait ainsi réunir les intérêts économiques et de santé publique ».

Pendant ce temps, les lobbies ciblent plutôt les femmes et les jeunes en leur proposant des produits plus fruités, colorés et fun. Désormais, eux aussi « savent pourquoi ».

Texte : Anne-Cécile Huwart

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