Le dégât social de la picole est d’ailleurs à l’origine de la première loi sur l’alcool…

Elle remonte à 1919 et s’appelle Loi Vandervelde, du nom de l’homme politique socialiste Émile Vandervelde, figure de proue du parti à la fin du XIXe et au début du XXe.

Vandervelde, qui est entièrement sobre, voit le combat contre l’alcool comme une lutte essentielle pour la gauche. Les ravages de la bière et surtout du genièvre sont colossaux dans la classe ouvrière.

Vandervelde estime, en 1902, la consommation à 115 millions de francs de l'époque. Dix fois le budget de l’éducation. La bière et le vin ne sont alors pas comptés dans ses calculs. Vandervelde pose un constat, toujours valable aujourd'hui : la consommation excessive d’alcool n'est pas réservée aux seules classes populaires, et la bourgeoisie ne s’empêche guère de faire des libations avec du bon vin rouge, bien habillée dans ses salles à manger. Mais c’est le prolétariat qui trinque.

Visionnaires, les propos de Vandervelde sur l’alcool ne seraient pas reniés par les scientifiques actuels.

En 1914, lors d'un congrès socialiste à Vienne, il affirme que « l’alcool, l’alcool méthylique, est un poison, au même titre que la morphine ou l’arsenic » et qu’en « prendre peu, c’est se faire un peu de mal ; en prendre beaucoup, c’est se faire beaucoup de mal. » Pour l’homme politique, la bière et le vin sont tout aussi coupables que les « spiritueux ». Il pointe, dans son analyse, le besoin nécessaire d'améliorer les conditions de vie du prolétariat pour affronter les dégâts de l’alcool.

À l’aube de la Première Guerre mondiale, la consommation de genièvre, bien plus fort qu’une bière, est très importante au sein de la population ouvrière. Les occupants allemands vont confisquer les appareils de distillation, mettant la production en pause.

Après la guerre, Vandervelde parvient à faire adopter une loi qui fera date. Le commerce de boissons fermentées (dont la bière) ne dépassant pas 18° pourra rester libre mais les autres alcools, dont le genièvre, voient leur vente fortement encadrée. Les particuliers pourront s’en procurer pour leur consommation personnelle, à la maison, mais à condition d’acheter au moins deux litres. Une contrainte financière trop importante pour les ouvriers. Comme le rappelle le journaliste Pierre Stéphany dans La Belgique en cent coups d’œil, cafetiers et restaurateurs ont mené bataille contre cette loi. Avec, pour les appuyer, l'aide du Parti libéral de l’époque, marquant bien une ligne d’affrontement entre gauche et droite sur la réglementation de la consommation dans notre pays.

Texte : Quentin Noirfalisse

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